Brin de folie

Très tôt, on reçoit ces injonctions d’être à la fois dans les clous mais aussi original, raisonnable mais en même temps créatif. Ces attentes peuvent d’emblée paraître contradictoires tant l’équilibre n’est pas si simple à trouver. En effet, comment être innovant sans prendre de risque? Comment se démarquer sans faire ce pas de côté qui pourrait nous rendre marginal? Comment, tout compte fait, se conformer à des normes avec lesquelles, qui plus est, on n’est pas nécessairement en accord, tout en restant fidèle à soi dans tout ce qu’on porte de fantaisiste et d’unique?

Assez vite, tout décalage dérange, il est perçu comme anormalité. Il bouleverse l’ordre établi, bousculant les évidences bien assises. Il inspire peur, méfiance, jalousie, incompréhension, autant que fascination. Celui qui a l’audace de s’abandonner à la déraison, ne serait-ce qu’un instant, se voit illico taxé de fou. Et pourtant, ce sont bien justement ces mêmes “fous”, ceux qui ont eu un jour l’aplomb d’affirmer leur conviction, leur originalité artistique, leur conquêtes scientifiques, qui trônent aujourd’hui dans notre panthéon comme nos plus grands héros. Seule la postérité est-elle donc capable de leur rendre un hommage à la mesure de leur pugnacité? 

Pourquoi la folie importune-t-elle tant? Pourtant, imaginez une seconde: une vie sans fantaisie mériterait-elle la peine d’être vécue?  A quel point a-t-on besoin d’un brin de folie? Et à partir de quand devrait-on lui imposer des limites?

On oppose souvent folie et raison, mais la raison elle-même est-elle toujours la meilleure conseillère? Ne flirte-t-elle pas parfois avec l’absurde jusqu’à se transformer en une machine d’autant plus dangereuse qu’elle est aveugle et froide? Est-ce une bonne idée de s’y fier par défaut et de suivre sa voie en tout circonstance?